Porté au pouvoir en mai 2023, Bola Tinubu avait suscité l’espoir de nombreux Nigérians qui voyaient en lui un réformateur capable de redresser l’économie chancelante du pays le plus peuplé d’Afrique. Son expérience en tant qu’ancien gouverneur de Lagos et sa promesse d’améliorer les conditions de vie des citoyens ordinaires avaient convaincu une partie importante de l’électorat. Cependant, après presque un an de présidence, le mécontentement populaire grandit face aux réformes économiques douloureuses et à la persistance de l’insécurité, une frustration désormais exprimée à travers une chanson polémique qui vient d’être interdite.
La voix de la contestation muselée
La Commission nationale de radiodiffusion (NBC) a récemment ordonné le retrait des ondes du morceau « Tell Your Papa » d’Eedris Abdulkareem, jugeant son contenu « inapproprié » et contraire aux normes de décence publique. Cette chanson, rapidement devenue virale sur les réseaux sociaux, interpelle directement le fils du président, Seyi Tinubu, lui demandant d’informer son père que la population souffre de la faim et de l’insécurité. Ce n’est pas la première incursion de l’artiste dans la critique politique : en 2003, son titre « Nigeria jaga jaga » dénonçant la corruption avait également été censuré sous l’administration d’Olusegun Obasanjo, mais était néanmoins devenu un hymne populaire dans les rues.
Un pays étranglé par les réformes économiques
L’interdiction survient dans un climat social tendu, conséquence directe des mesures d’austérité adoptées par le gouvernement Tinubu. La suppression des subventions sur le carburant, mesure phare défendue comme nécessaire pour assainir les finances publiques, a provoqué une flambée des prix qui s’est répercutée sur l’ensemble de l’économie. Avec une inflation dépassant 30% l’année dernière et des prix alimentaires en hausse vertigineuse, de nombreux ménages nigérians se voient contraints de réduire leur consommation quotidienne. Dans sa chanson, Abdulkareem fustige les « promesses vides » du président et déplore que son administration « ne fasse pas d’efforts » pour soulager la population.
Face aux critiques, le gouvernement maintient que ses réformes visent la stabilité économique à long terme. Pour atténuer les souffrances immédiates, un programme de transferts d’argent destiné à 15 millions de foyers défavorisés a été mis en place. Parallèlement, l’administration Tinubu affirme avoir amélioré la situation sécuritaire ces derniers mois, malgré la persistance des enlèvements contre rançon et les craintes d’une résurgence de Boko Haram dans le nord-est. La chanson censurée défie cette version officielle, invitant notamment le fils du président à voyager par route plutôt qu’en jet privé pour constater par lui-même les dangers auxquels sont confrontés les citoyens ordinaires.