Depuis plusieurs années, le durcissement des politiques migratoires en Europe s’accélère, porté par la montée des partis d’extrême droite dans plusieurs pays membres. Des gouvernements, sous pression électorale ou par conviction idéologique, multiplient les mesures restrictives : fermeture de centres d’accueil, renforcement des contrôles aux frontières, pactes sécuritaires visant à limiter les flux migratoires. La logique dominante est celle du soupçon, de la sélection et du repli. Dans ce climat tendu, où le droit d’asile lui-même se voit encadré plus strictement, une autre forme d’accès à l’Europe, plus discrète mais très lucrative, vient d’être brutalement freinée par la justice de l’Union européenne : la vente de passeports aux plus riches.
La citoyenneté en échange d’argent désavouée
Le système maltais de « passeports dorés », qui permettait à des investisseurs étrangers d’obtenir la nationalité maltaise – et donc l’accès à tous les droits européens – contre de larges sommes d’argent, a été jugé illégal par la Cour de justice de l’Union européenne. Selon les juges, ce mécanisme revient à « commercialiser » la citoyenneté, ce qui viole les engagements fondamentaux des traités de l’Union. L’arrêt est sans appel : Malte a manqué à ses obligations de coopération loyale envers les autres États membres.
Ce jugement découle d’une action lancée par la Commission européenne, qui s’inquiétait depuis longtemps de voir certains pays transformer la citoyenneté en produit d’investissement. Alors que des migrants doivent justifier de liens familiaux, de raisons humanitaires ou d’une insertion réussie pour espérer obtenir un titre de séjour, certains individus pouvaient jusqu’ici, grâce à leur fortune, s’acheter en quelques mois une place au sein de l’Union européenne. Cette rupture d’égalité, criante, entre les moyens d’entrée dans l’espace Schengen, soulève d’importants enjeux politiques et éthiques.
Une fracture entre les principes et les pratiques
L’arrêt de la Cour ne survient pas dans un vide : il vient sanctionner un système déjà critiqué à plusieurs reprises par le Parlement européen, qui avait demandé l’interdiction pure et simple des dispositifs de citoyenneté par investissement. Ces programmes posent des risques de sécurité, facilitent le blanchiment de capitaux et permettent parfois à des individus peu scrupuleux d’effacer un passé trouble grâce à un nouveau passeport. Ils introduisent une logique de marché dans une question profondément politique et symbolique : l’appartenance à une communauté nationale.
Le contraste est d’autant plus saisissant dans le climat actuel. Tandis que des politiques toujours plus strictes sont appliquées aux candidats à l’immigration issus de pays pauvres ou en conflit, des citoyens fortunés se voyaient offrir une voie express vers les privilèges européens. Ce déséquilibre est désormais dénoncé avec fermeté par la justice européenne, qui exige que l’acquisition de la nationalité repose sur des critères réels d’attachement au pays et non sur un simple virement bancaire.
Réactions prudentes à Malte, avertissement à l’échelle européenne
En réaction à l’arrêt, le gouvernement maltais a affirmé respecter les décisions des tribunaux européens tout en annonçant qu’il analysait les conséquences juridiques de cette décision avant d’adapter son cadre réglementaire. Cette prudence traduit un embarras évident : Malte tirait un revenu conséquent de ce système, tout en s’exposant à des critiques croissantes sur la légèreté des vérifications entourant ces naturalisations.
La Commission européenne, elle, demande l’application immédiate du jugement. Elle rappelle que l’octroi de la citoyenneté dans un État membre entraîne automatiquement l’accès à des droits dans tous les autres pays de l’Union. Ce n’est donc pas une décision purement nationale, mais un acte aux effets multiples. C’est précisément cette interdépendance qui rend inacceptable, aux yeux de la Cour, le fait de traiter la citoyenneté comme un bien commercial.
L’affaire maltaise envoie un signal fort à d’autres États tentés de suivre une voie similaire. La Bulgarie a déjà suspendu son programme de passeports dorés, et Chypre a été contrainte d’y renoncer sous pression internationale. L’Union européenne semble désormais prête à refermer définitivement cette parenthèse, au nom de la cohérence de ses principes et de l’égalité entre ses membres. Ce jugement pourrait également nourrir les débats sur la réforme plus large du droit de la nationalité dans les États membres, dans un contexte où les logiques d’exclusion prennent souvent le pas sur celles de solidarité.