Publié le 3 avril 2025
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Dans le village de Dusuman, dans le nord-est du Nigeria, Moussa a été arraché à son sommeil par une rafale sèche d’armes automatiques en cette nuit de janvier : des jihadistes de Boko Haram étaient venus s’emparer de son bétail. « Ils sont arrivés autour d’une heure du matin et ont commencé à tirer des coups de feu en l’air », explique le berger peul dont le prénom a été changé pour raisons de sécurité. « Ma famille et moi avons fui dans la brousse. Les jihadistes ont emporté mes 36 vaches et 40 moutons », déplore-t-il.
Ces razzias de bétail constituent une source de financement importante pour Boko Haram, qui revend une partie des animaux sur les marchés locaux pour soutenir ses opérations dans la région du lac Tchad. Un mode de financement criminel également exploité par d’autres groupes jihadistes au Sahel, où le bétail est une richesse convoitée.
« C’est une économie qui alimente le conflit », explique Flore Berger, chercheuse au sein de l’Initiative mondiale contre la criminalité organisée transnationale (GI-TOC, selon son acronyme en anglais). Au Burkina Faso, des sources au sein du groupe Ansarul Islam, « ont déclaré gagner, selon les périodes, entre 25 et 30 millions de F CFA [respectivement 38 285 et 45 943 euros] par mois grâce au vol de bétail dans les régions où ils opèrent », relève Flore Berger dans une étude.
Ces vols jettent les éleveurs dans une extrême précarité, poussant certains à rejoindre les rangs des jihadistes, soit pour profiter des razzias ou bénéficier d’une protection.
Le Nigeria et le Mali particulièrement touchés
Le Nigeria et le Mali, respectivement premier et deuxième exportateur de bétail dans la région et en proie aux violences jihadistes, sont particulièrement touchés. Le Mali a recensé en 2021 près de 130 000 têtes de bétail volées, dépassant les totaux de 2018, 2019 et 2020 combinés, selon un document du gouvernorat de Mopti (Centre) mentionné par l’étude déjà citée.
Selon cette dernière, « la pratique perdure depuis des siècles dans tout le Sahel », des vols qualifiés autrefois d’incidents « presque culturels » que « tout le monde acceptait ». Mais, depuis les années 2010, les jihadistes se sont mêlés à la pratique. Ces pillages sont devenus des opérations violentes où les éleveurs sont parfois enlevés ou exécutés.

Comme au Niger voisin, où « plus de 600 » animaux ont été volés par des jihadistes dans un hameau de la région de Ouallam, l’année dernière, et où un propriétaire a été tué, près de la frontière malienne, selon une source locale.
Dans le bassin du Lac Tchad, dans le nord-est du Nigeria, Boko Haram est le premier responsable de ces vols. Son groupe dissident, l’État islamique en Afrique de l’Ouest, préfère quant à lui imposer des taxes aux éleveurs locaux, note Kingsley Madueke, chercheur au GI-TOC.
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« Blanchiment » du bétail
Dans le centre du Sahel (Mali, Niger et Burkina), c’est le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), lié à Al-Qaïda, qui domine ce commerce illicite, s’appuyant sur son vaste territoire sous contrôle et son réseau local. Le bétail volé est ensuite écoulé grâce à des filières bien établies, impliquant notamment des espions, des intermédiaires, des transporteurs, des commerçants, des bouchers ou des administrateurs locaux « corrompus », toujours selon la chercheuse Flore Berger.
« À travers ces “partenaires commerciaux” les jihadistes ont accès au renseignement et peuvent se ravitailler dans les forêts », explique William Assanvo, de l’Institut d’études et de sécurité (ISS).

Si une partie du bétail volé est vendue sur des marchés locaux, le reste est exporté. Les animaux volés au Mali sont par exemple « blanchis », mêlés au bétail légal, puis expédiés vers des pays de la sous-région, comme la Côte d’Ivoire, le Burkina ou le Niger.
C’est pourquoi, selon Kingsley Madueke, « il est nécessaire de cibler » aussi les réseaux auxiliaires. La nature transfrontalière du trafic impose également une coopération sous-régionale qui n’est pas toujours aisée, compte tenu de la situation géopolitique en Afrique de l’Ouest.
« Nous avons adressé au moins trois correspondances aux autorités maliennes en 2024. Car nous avons enregistré sur le marché ivoirien une augmentation de l’afflux du bétail en provenance du Mali, explique une source sécuritaire ivoirienne. Nous avons besoin d’une collaboration pour assécher le réseau. Pour le moment, cela tarde. »
(Avec AFP)