Dans le centre commercial Americana Plaza au Caire, le 10 septembre 2018. © REUTERS/Amr Abdallah Dalsh
Publié le 9 novembre 2023
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« Et ça, c’est avec ou contre nous ? » Cette question est devenue virale sur les réseaux sociaux égyptiens, généralement accompagnée de la photo d’un produit dont les internautes demandent l’origine pour vérifier s’il est « à boycotter ». C’est-à-dire, s’il s’agit de l’une de ces marques occidentales venues d’un pays accusé de soutenir Israël dans son agression contre Gaza.
De Nestlé à Coca Cola, en passant par Pepsi, KFC, McDonald’s, Starbucks ou Lay’s, des centaines de produits portant le logo de grands groupes occidentaux sont ciblés. Certains utilisateurs ont même photoshopé et détourné les photos de ces produits pour mettre en scène leur soutien à l’agression israélienne.
En Égypte, les restaurants des grandes chaînes de fast-food américaines sont presque vides. Certains d’entre eux ont d’ailleurs affirmé leur soutien à la Palestine pour tenter d’échapper à cette fulgurante campagne de boycott, à l’image du partenaire local de la marque américaine Papa John’s Pizza qui a communiqué sur le fait qu’il reversait une partie de ses bénéfices à l’aide à Gaza. Chez MacDonald’s Egypt, un communiqué a été publié pour confirmer que la filiale est la propriété à 100 % d’un homme d’affaires égyptien, Yassine Mansour. Celui-ci a annoncé un don de 20 millions de livres (605 000 euros) à des initiatives humanitaires à Gaza, et ses restaurants arborent désormais le drapeau palestinien.
Alternatives locales
La campagne de boycott ne se limite pas aux consommateurs : certains supermarchés ont eux aussi arrêté de vendre les produits « occidentaux » pour les remplacer par des équivalents locaux. Si bien que la Fédération de la chambre de commerce égyptienne (FEDCOC) a fini par réagir. Dans un communiqué publié le 3 novembre, elle appelle officiellement les Égyptiens à ne pas participer à la campagne de boycott, expliquant que celle-ci aurait en fait un effet négatif sur l’économie nationale. Dans la plupart des cas cités, rappelle-t-elle, les entreprises ne font qu’utiliser le nom des marques occidentales, le vrai opérateur étant local. « Un boycott n’a aucun effet sur la marque extérieure, mais va peser sur l’investisseur égyptien et la main-d’œuvre », avertit la fédération.
« Il y a un effet clair des appels au boycott sur la consommation dans le pays, explique Gouda Abdel Khaleq, ancien ministre de l’Approvisionnement et professeur d’économie à l’université du Caire. Le peuple veut punir le soutien apporté à Israël par les pays occidentaux avec les moyens dont il dispose. »
Dans les rues, il n’est en tout cas pas difficile de trouver des acheteurs qui confirment avoir changé leurs habitudes. « J’ai arrêté d’acheter des produits importés soupçonnés de soutenir Israël. Je cherche aujourd’hui des alternatives locales. Pour la lessive, les biscuits, le thé et le café… tous mes achats ont changé », raconte ainsi Hanaa Ali, mère de deux enfants au Caire.
« Le sang de nos frères »
Dans les cafés de la capitale, des altercations verbales entre serveurs et clients sont devenues quotidiennes. Certains clients refusent les bouteilles d’eau aux marques étrangères. « C’est le sang de nos frères que vous nous offrez », crie un client à un employé dans un café du centre-ville.
« Il y a un sentiment de colère, mais aussi de paralysie chez le peuple qui ne sait pas comment réagir. Les gens tentent, par ce boycott, d’exprimer leur refus de l’évolution de la situation à Gaza. Ils n’ont que cette arme, le boycott, pour exprimer leur solidarité avec les Palestiniens », précise Said Sadek, professeur de politique sociale à l’université du Nil, au Caire. « Le problème, c’est que ces appels nuisent au contraire à l’industrie nationale et au travail de milliers de gens, car ces marques internationales sont possédées par des partenaires locaux”, renchérit-il à son tour.
Mais cette campagne a aussi profité à certaines marques considérées comme locales, qui ont été achetées en nombre par la population. Parmi les bénéficiaires, le producteur local d’eau gazeuse Spiro Spathis, qui avait beaucoup souffert de la crise économique et dont les ventes ont augmenté récemment de 350 %. Selon son PDG, Youssef Talaat, les usines de la firme fonctionnent actuellement 24/24 pour couvrir la demande. D’autres marques comme Misr Café annoncent une augmentation de leurs ventes de 30 %.
« Les appels au boycott servent directement la production locale et renforcent les ventes de certaines compagnies qui souffraient de la forte crise économique qui frappe l’Égypte », confirme le professeur Gouda Abdel Khaleq.