Depuis son retour à la Maison-Blanche en janvier 2025, Donald Trump a repris ses habitudes : renverser les codes diplomatiques classiques et redessiner la carte de ses affinités internationales selon ses propres critères. Finis les compromis multilatéraux, place à une diplomatie directe, transactionnelle, où les alliances sont traitées comme des contrats d’affaires. Loin de la discrétion protocolaire, Trump affiche ouvertement ses préférences, récompensant les partenaires qui adhèrent à sa vision sécuritaire et punissant, même symboliquement, ceux qui ne suivent pas la cadence. Et c’est dans ce jeu de faveurs que la France vient tout juste de recevoir une claque — discrète mais cinglante — à travers une décision administrative révélatrice : selon le département d’État américain, mieux vaut se promener dans les ruelles de San Salvador que flâner dans les jardins de Versailles.
Sécurité perçue : Paris rétrogradée, San Salvador promue
Début avril, le système d’alerte aux voyageurs du département d’État a été mis à jour. Résultat : la France est désormais classée au niveau 2 de sécurité, appelant les citoyens américains à la vigilance renforcée sur son sol. En parallèle, le Salvador, longtemps perçu comme l’un des pays les plus dangereux d’Amérique centrale, est passé au niveau 1, catégorie réservée aux destinations les plus sûres. Le message, à peine voilé, est clair : aux yeux de Washington, la capitale de la violence urbaine est devenue plus fréquentable que les allées touristiques françaises.
Cette décision ne repose pas uniquement sur des critères techniques. Elle résonne comme un signal politique, fruit d’un repositionnement assumé des priorités américaines. Car le Salvador de Nayib Bukele n’est plus celui d’hier. Sous l’œil approbateur de Trump, le jeune président a engagé une offensive brutale contre les gangs criminels, au prix de méthodes musclées et de milliers d’arrestations controversées. L’homme fort de San Salvador a trouvé en Trump un allié de circonstance, admiratif de son autorité sans concession. Cette revalorisation symbolique dans les classements officiels américains traduit donc aussi une reconnaissance de loyauté.
Un marché sécuritaire scellé à coups de dollars et de prisons
Depuis quelques mois, les deux dirigeants affichent une complicité assumée. En marge des discours officiels, une entente s’est nouée autour d’un thème central : la guerre contre l’immigration clandestine et le crime transnational. Trump a trouvé en Bukele un partenaire redoutablement efficace. En échange de six millions de dollars de soutien financier, le Salvador a accepté de recevoir et d’enfermer dans le centre carcéral géant de CECOT des centaines de migrants expulsés des États-Unis, soupçonnés de liens avec des structures mafieuses comme la MS-13 ou Tren de Aragua.
Ce deal, passé sous les radars de la diplomatie traditionnelle, illustre à la perfection la méthode Trump : récompenser ceux qui offrent des résultats visibles, peu importe les critiques des ONG ou des institutions internationales. Les dénonciations de détentions arbitraires, de conditions carcérales indignes ou de violations des droits humains n’ont pas entamé l’enthousiasme du président américain. Bukele est devenu, selon Trump, « un exemple pour toute l’Amérique latine », un compliment lourd de sens venant d’un homme pour qui l’ordre prime sur le débat démocratique.
Entre alliés historiques et affinités du moment
Dans ce grand jeu d’alliances redessinées, la France n’a pas démérité en tant que partenaire traditionnel des États-Unis. Mais ce statut ne suffit plus. Elle paie aujourd’hui le prix d’une diplomatie moins alignée sur les priorités sécuritaires trumpistes. L’époque où Paris était valorisée pour son rôle dans les opérations internationales ou ses liens historiques avec Washington semble révolue. Désormais, ce sont les régimes efficaces en matière de répression qui trouvent grâce aux yeux du président américain.
La « petite gifle » diplomatique infligée à la France n’a rien d’anodin. Elle ne s’exprime pas par des discours virulents ou des sanctions économiques, mais par un classement administratif qui rabaisse symboliquement un allié majeur. C’est une manière détournée, mais très politique, de rappeler que l’amitié américaine, sous l’ère Trump, se mérite par l’alignement et l’utilité directe.
Une diplomatie par contraste
Ce renversement des priorités internationales évoque un jeu de miroirs : pendant que la France, jadis louée pour sa stabilité et sa culture, se voit rétrogradée, le Salvador, longtemps stigmatisé, gagne ses galons diplomatiques grâce à une stratégie de coopération musclée. C’est le monde à l’envers, mais c’est le monde vu par Trump : un monde où la sécurité est la seule monnaie d’échange valable, et où les bons élèves sont ceux qui emprisonnent plus, plus vite, plus fort.
À travers cette nouvelle hiérarchie sécuritaire, Trump ne fait pas que redessiner la carte des pays à visiter — il redéfinit les valeurs mêmes de ce qu’il considère comme des partenaires fiables. La diplomatie américaine, sous son impulsion, devient un marché du donnant-donnant brutal, où les accolades présidentielles sont réservées aux dirigeants capables de traduire les consignes sécuritaires en actions spectaculaires.
Le message envoyé à la France, derrière son apparente banalité, révèle une mutation profonde : les alliances ne se fondent plus sur les affinités historiques mais sur les convergences idéologiques et les résultats tangibles. Et dans ce nouveau monde de la diplomatie notée au mérite sécuritaire, le château de la Loire a perdu quelques étoiles.