Depuis 1974, Chypre demeure une terre fracturée. L’invasion turque de la partie nord de l’île, en réponse à un coup d’État soutenu par Athènes, a entraîné une occupation militaire toujours en vigueur. Avec environ 35 000 soldats turcs stationnés au nord, la République de Chypre, seule entité internationalement reconnue, se retrouve face à un déséquilibre stratégique criant. Malgré son appartenance à l’Union européenne, l’île peine à compenser l’influence militaire turque, alimentant une inquiétude constante sur la stabilité régionale. Ces tensions gelées depuis des décennies font de la question de la défense une priorité pour Nicosie, qui cherche aujourd’hui à muscler ses capacités dissuasives.
Des Sherpa français pour rééquilibrer la balance
Pour répondre à cette situation, Chypre a récemment franchi une étape décisive en signant un contrat avec la société française Arquus. L’accord prévoit la livraison de douze véhicules blindés Sherpa Station Wagon, un modèle réputé pour sa mobilité et sa robustesse, capable de manœuvrer dans des environnements complexes. Mais au-delà du châssis, c’est l’armement embarqué qui marque une avancée stratégique : chaque véhicule sera équipé de missiles antichars Akeron, capables de neutraliser des cibles lourdement blindées avec une précision chirurgicale.
Cette acquisition représente bien plus qu’un simple renouvellement d’équipement militaire. Elle traduit une volonté politique claire de Chypre de dissuader toute avancée turque au sud de la ligne verte. En optant pour les technologies françaises, Nicosie renforce également ses liens avec Paris, partenaire clé au sein de l’Union européenne, dans une logique de coopération sécuritaire régionale. À travers cette transaction, c’est une réponse concrète à la disproportion militaire que le gouvernement chypriote souhaite apporter.
Une visite décisive et un partenariat renforcé
La signature de cet accord a été finalisée à Athènes lors du salon DEFEA 2025, où une délégation chypriote de haut niveau, conduite par Anna Aristotelous, secrétaire permanente au ministère de la Défense, et Panayiotis Symeou, directeur national de l’armement, a visité le stand d’Arquus. Cette rencontre a permis d’acter les derniers détails de la collaboration, notamment l’intégration des missiles Akeron directement sur la plateforme Sherpa, un travail qui sera également pris en charge par Arquus.
Ce partenariat est significatif à plus d’un titre. D’un côté, il témoigne de la montée en puissance de l’industrie française de défense dans le bassin méditerranéen. De l’autre, il souligne la détermination de Chypre à ne plus rester en retrait face aux menaces. Le Sherpa, souvent comparé à un couteau suisse des forces blindées, devient ici le vecteur d’un message clair : Chypre entend défendre chaque mètre carré de son territoire.
Un signal fort dans une région en ébullition
Ce choix de renforcer les capacités militaires terrestres à travers une coopération européenne intervient dans un contexte de méfiance croissante envers la Turquie, accusée d’accroître ses pressions militaires et diplomatiques sur ses voisins. Si les pourparlers pour une réunification de l’île sont au point mort, Chypre, en se dotant de ces nouveaux moyens, affirme vouloir rester maître de sa souveraineté sans se laisser intimider.
Ce n’est pas un hasard si la livraison de ces blindés a été rendue publique dans le cadre d’un grand salon de défense. C’est une manière pour Chypre et la France d’afficher leur entente stratégique, tout en adressant un message à Ankara. À une époque où les démonstrations de force prennent parfois la forme de signatures de contrats, le Sherpa devient un symbole roulant de la résistance chypriote.
En fin de compte, si la paix demeure l’objectif ultime, les faits montrent que la République de Chypre n’entend pas l’attendre les bras croisés. Elle choisit désormais de se donner les moyens de tenir tête à l’un des plus puissants appareils militaires de la région, avec l’aide d’un partenaire européen prêt à l’accompagner sur cette voie.