Bernard Arnault. Photo: François BOUCHON/Le Figaro
Il fut longtemps perçu comme une figure incontestée de la réussite économique française. À la tête de LVMH, Bernard Arnault a construit un empire du luxe en rachetant un à un les plus grands noms de la mode, des spiritueux et des cosmétiques. Sa fortune, édifiée à coups d’intuitions industrielles et de paris financiers, fait de lui l’un des hommes les plus riches au monde. Mais alors que son influence s’étend bien au-delà du secteur privé, ses récentes prises de position publiques lui valent aujourd’hui des critiques nourries dans l’arène politique.
Un discours mal accueilli chez les écologistes et à gauche
En appelant les dirigeants européens à résoudre les tensions commerciales avec Washington par un accord de libre-échange, Bernard Arnault a ravivé des oppositions qui couvaient depuis plusieurs années. Si ce type de proposition pourrait sembler relever d’un pragmatisme économique, il n’a pas été perçu comme tel par plusieurs responsables politiques. Marine Tondelier, dirigeante des Ecologistes, a pointé une rhétorique jugée proche de l’extrême droite en évoquant les propos d’Arnault sur une Europe gouvernée, selon lui, par une « bureaucratie » plutôt que par une autorité politique. De son côté, Manon Aubry, eurodéputée LFI, a mis en garde contre un accord qui mettrait en péril l’agriculture et l’industrie européennes.
Fabien Roussel, secrétaire national du Parti communiste français, est allé plus loin, accusant le milliardaire d’être “vendu aux Américains” et de représenter un danger pour l’économie nationale. L’évocation par Arnault d’une “chance” pour les viticulteurs français n’a pas suffi à désamorcer les critiques. Pour ses détracteurs, son plaidoyer en faveur d’un alignement transatlantique occulte les conséquences sociales et économiques qu’un tel projet pourrait avoir sur les producteurs locaux déjà fragilisés.
L’ombre de Donald Trump et le poids du marché américain
Le soutien à une zone de libre-échange avec les États-Unis ne surgit pas de nulle part. LVMH réalise un quart de ses ventes sur le marché américain. Dans ce contexte, il devient compréhensible que son PDG défende un cadre qui sécurise ses intérêts commerciaux. Pourtant, c’est la proximité idéologique perçue entre Bernard Arnault et Donald Trump qui alimente les tensions. Certains rappellent sa présence lors de l’investiture du président américain, ou encore son alignement récent avec les vues d’Elon Musk, proche de la nouvelle administration. Ces éléments nourrissent l’idée d’un basculement stratégique, voire politique, dans le discours de celui qui fut longtemps perçu comme un homme d’affaires discret.
Le fait qu’Arnault évoque positivement les efforts de Bruxelles pour défendre l’automobile allemande tout en appelant à des gestes similaires pour la viticulture française ajoute une dimension diplomatique à son intervention. Mais cette tentative de défense sectorielle n’a pas suffi à désamorcer la critique : elle est perçue par certains comme une instrumentalisation de l’intérêt national au service d’un agenda international plus large.
Un capital de légitimité mis à l’épreuve
Au-delà de la question du libre-échange, cette séquence révèle une évolution dans la perception du rôle des grands patrons dans la vie publique. Là où Arnault était autrefois considéré comme un ambassadeur silencieux du savoir-faire français, ses interventions publiques lui confèrent désormais une exposition politique que certains jugent problématique. Le soupçon d’un double langage — défenseur de l’économie nationale en façade, acteur d’une mondialisation libérale en coulisse — vient troubler son image.
L’évolution des rapports de force entre l’Europe et les États-Unis, dans un contexte de relance des tensions commerciales, exacerbe ces jugements. Les prises de position de figures économiques influentes deviennent alors des marqueurs idéologiques.
À mesure que les choix stratégiques des grandes fortunes sont scrutés, leur légitimité à s’exprimer sur des sujets géopolitiques pourrait bien se heurter à des oppositions de plus en plus frontales. Pour Bernard Arnault, l’équation entre influence économique et crédibilité politique s’annonce de plus en plus délicate à résoudre.