Les appels à la retenue se multiplient au Sénégal et à l’étranger, après un déchaînement de violence qui a poussé les autorités à déployer l’armée à Dakar et qui fait craindre un embrasement en cas d’arrestation de l’opposant Ousmane Sonko, condamné le 1er juin à de la prison ferme.
La France « extrêmement préoccupée »
Le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, condamne la violence et « exhorte tous les acteurs à […] la retenue », a fait savoir un porte-parole. Langage similaire de la part de la France, qui se dit « extrêmement préoccupée »: Paris appelle « à cesser les violences et à résoudre cette crise, dans le respect de la longue tradition démocratique du Sénégal ».
À Lire
Après le verdict, quelles options pour Ousmane Sonko ?
La Cedeao a, elle aussi, fait part de son « inquiétude » et appelé toutes les parties à « défendre la réputation louable du pays en tant que bastion de paix et de stabilité ».
De son côté, dans un communiqué diffusé le 2 juin, le bureau politique des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), le parti d’Ousmane Sonko, a appelé à la « résistance constitutionnelle populaire ». « Nous lançons un appel à tous les Sénégalais d’amplifier et d’intensifier la résistance constitutionnelle jusqu’au départ du Président Macky Sall et aux forces de défense de se tenir au côté du peuple pour protéger la Constitution », peut-on lire dans cet « appel ».
Le Sénégal a connu jeudi 1er juin dans la foulée du verdict prononcé contre Ousmane Sonko, qui est candidat à l’élection présidentielle, l’une de ses pires journées de contestation depuis des années avec la mort de neuf personnes, selon le ministère de l’Intérieur.
Des heurts épars ont encore été signalés vendredi dans la capitale et en Casamance, fief du leader du parti Pastef. Des affrontements se sont également déroulés à Cap Skirring, une station balnéaire de Casamance. Dans la journée de samedi, le gouvernement a indiqué que six personnes avaient été tuées dans des heurts entre la police et des partisans, ce qui porte à 15 le nombre de morts en deux jours.
« On a enregistré dans la journée du 2 juin six décès, dont quatre dans la région de Dakar et deux dans la région de Ziguinchor », a déclaré à Maham Ka, porte-parole du ministre de l’Intérieur.
« Des actes de vandalisme et de banditisme »
L’armée a été déployée dans les rues de Dakar, où de violents affrontement ont opposé forces de l’ordre et partisans d’Ousmane Sonko, le 2 juin 2023. © JOHN WESSELS / AFP
« Ce sont des moments difficiles pour la nation sénégalaise, qu’on va dépasser », a déclaré Abdou Karim Fofana. « Ce n’est pas une manifestation populaire avec des revendications politiques », a-t-il affirmé, mais plutôt « des actes de vandalisme et de banditisme » de la part de « malfaiteurs ».
La tension est restée élevée toute la journée, dans l’incertitude sur l’arrestation du plus farouche adversaire du président Macky Sall.
Les autorités ont déployé des soldats en treillis et armes de guerre à Dakar, capitale quasiment paralysée, avec notamment deux blindés sur la place de l’Indépendance, à cinq minutes à pied du palais présidentiel.
À Lire
Au Sénégal, Ousmane Sonko en fait-il trop ?
Le gouvernement a reconnu avoir restreint les accès aux réseaux sociaux comme Facebook, WhatsApp ou Twitter pour faire cesser selon lui « la diffusion de messages haineux et subversifs ».
Affrontements à l’université
Lors des affrontements entre manifestants et forces de l’ordre, à Dakar, le 2 juin 2023. © Annika Hammerschlag / ANADOLU AGENCY / Anadolu Agency via AFP
Dans la crainte des saccages, les magasins sont restés fermés le long de rues entières qui portaient encore les traces des violences de la veille. À l’université, théâtre d’affrontements prolongés et d’importantes destructions jeudi, les étudiants ont reçu la consigne de partir et nombre d’entre eux ont quitté le campus.
« Nous ne nous attendions pas à ça, les affaires politiques ne devraient pas nous concerner », a assuré Babacar Ndiaye, étudiant de 26 ans. « Mais il y a injustice », a-t-il dit en parlant de la condamnation d’Ousmane Sonko, engagé depuis deux ans dans un bras de fer pour sa survie judiciaire et politique.
Depuis 2021, une trentaine de civils ont été tués dans des troubles largement liés à la situation d’Ousmane Sonko. Le pouvoir et le camp de l’opposant s’en rejettent mutuellement la faute.
À Lire
Dans un Sénégal sous tension, Ousmane Sonko joue sa dernière carte
Acquitté jeudi des charges de viols et menaces de mort contre une employée d’un salon de beauté où il allait se faire masser entre 2020 et 2021, l’opposant a en revanche été condamné à deux ans de prison ferme pour avoir poussé à la « débauche » cette jeune femme de moins de 21 ans. Cette condamnation paraît, au vu du code électoral, entraîner l’inéligibilité d’Ousmane Sonko.
« Arrestations arbitraires »
Le leader du Pastef n’a cessé de nier les accusations, dénonçant une machination pour l’écarter de la présidentielle, ce que le pouvoir réfute.
Il peut désormais être arrêté « à tout moment », a dit le ministre de la Justice, Ismaïla Madior Fall. Ousmane Sonko est bloqué – « séquestré », dit-il – à son domicile par des forces de sécurité qui empêchent par la force quiconque de l’approcher.
Amnesty International a pressé les autorités sénégalaises de cesser les « arrestations arbitraires » et de lever les restrictions d’accès aux réseaux sociaux. « Les violences socio-politiques ne doivent pas être prétexte à restreindre le droit d’informer », s’est émue l’ONG Reporters sans frontières.
(avec AFP)