Au Bénin, les sachets plastiques n’ont pas réussi à emballer totalement tout le monde. Certains s’accrochent aux emballages végétaux, une alternative à promouvoir.
Fulbert ADJIMEHOSSOU
Dantokpa est tout à la fois. C’est l’un des grands lieux de distribution des sachets plastiques au Bénin. Mais c’est encore l’un des rares endroits à Cotonou où l’on peut s’approvisionner en emballages végétaux, en gros. Pour le peu de clients fidèles, Marie Affanougbo est prête à poursuivre le sacrifice. La sexagénaire brave en effet plus de 35 km par voie lagunaire depuis Dangbo pour proposer, en tas de 200 F Cfa, des feuilles de Thalia geniculata appelées en fon Afléman. « Il y a des clients qui n’utilisent que ces feuilles. Parce qu’ils connaissent la valeur, l’odeur et le goût qu’elles transfèrent à l’akassa (Pâte de maïs fermenté). Ce sont des emballages qui conservent bien la chaleur. Si vous consommez des boules d’akassa emballées dans du Afléman, c’est sûr que vous serez à l’abri des maladies», vante-t-elle. Cependant, Marguerite Dah, sa voisine de la même génération, en provenance aussi de la vallée de l’Ouémé, ne lui laissera pas le temps de poursuivre. « Ce n’est pas comme ces repas qu’on vous sert en sachet plastique pour vous tuer. Depuis des lustres, dans nos communautés, cette plante que vous voyez est consommée sous forme de tisane pour traiter certaines maladies », fait-elle remarquer. Ce samedi, ce n’est pas la grande affluence. Pas le moindre client après une demi-heure d’attente. Les deux « mémés», comme les autres vendeuses d’emballages végétaux de Todomè à Dantokpa, ne se font pas trop de soucis pour cette sobriété. Puisqu’elles sont déjà habituées à la rude concurrence que leur livre leur « bête noire », c’est-à-dire les sachets plastiques. « Auparavant, on vendait mieux. Aujourd’hui, les sachets ont pris la clientèle, d’abord parce qu’ils sont moins chers. Ensuite, les consommateurs préfèrent les boules d’akassa en sachet dont ils sont sûrs de la grosseur, contrairement à celles en feuilles qu’on doit d’abord déballer avant d’en apprécier la taille. Il y a aussi le fait que les populations sont têtues. On veut tout payer en sachet. Tant qu’elles n’ont pas décidé de changer, la vente de sachets plastiques va toujours prospérer », déplore Marie Oké, vendeuse d’emballages végétaux. Garantir la disponibilité Depuis plusieurs siècles, dans de nombreuses régions du pays, les feuilles d’un grand nombre d’espèces végétales servent à emballer les aliments semi-solides ou solides destinés à être conservés quelques heures, voire quelques jours. Ce sont des moyens simples de protection contre les influences externes telles que les micro-organismes, l’air, et l’humidité que les sachets plastiques sont venus détrôner. Les travaux menés sous l’égide de Paulin Azokpota, Professeur titulaire en technologies et microbiologies alimentaires ont permis de recenser en 2013 près d’une trentaine d’emballages-feuilles végétaux utilisés dans l’artisanat agroalimentaire. Dans le lot de ces espèces utilisées, il y a «Afléman» (Talia geniculata), «Zaman» (Daniellia oliveri), «Teckiman»(Tectona grandis), «Toungoman» (Lasiomorpha senegalensis), «Agbégbéman» (Icacina trichanta), «Kokoéman» (Musa sapientum), «Loba man» (Manihot glaziovii), et «Plokissa man» (Pouteria alnifolia). «Parmi les espèces collectées, plusieurs servent à l’emballage d’un type de produit et vice-versa. De plus, on observe la tendance à une territorialisation ou adaptation de l’usage aux espèces végétales emballages», fait remarquer l’étude qui note aussi que «certaines feuilles apparaissent comme des espèces végétales-emballages à envergure zonale/locale ». Mais d’où proviennent ces emballages ? Certains sont cueillis dans leur environnement pendant que d’autres sont cultivés. « Pour produire du Afléman, il faut disposer d’une parcelle en zone marécageuse. Les paysans cultivent cette plante comme on le fait pour le riz et ils l’entretiennent. Trois mois après, c’est la récolte. Nous on s’en va s’approvisionner. Ce n’est pas si aisé que ça. Durant le transport, on fait en sorte que ces feuilles ne soient pas étouffées par la chaleur. Sinon, ça pourrit et nous perdons tout», relate Marie Affanougbo. De ce fait, certaines structures travaillent à appuyer les populations en vue de garantir la disponibilité de ces emballages. C’est le cas du Groupe d’Actions pour la Justice et l’égalité sociale (Gajes). « Nous avons pu acquérir un espace pour produire les feuilles de Thalia geniculata appelées Afléman. On a sollicité l’appui du ministère de l’Agriculture. Les techniciens sont venus renforcer la capacité des producteurs et, d’ici peu, nous allons commencer à exploiter », confie Marie Odile Comlanvi née Hountondji, présidente du Gajes. Celle-ci attire l’attention des gouvernants sur des contraintes à prendre en compte. « Ce n’est pas une affaire de petites parcelles. Il faut de grands espaces pour faire la production de ces emballages végétaux. Si l’État peut aider les producteurs à avoir de grandes surfaces de marécages, ce serait bien. Il le faut dans tous les départements», insiste Marie Odile Comlanvi née Hountondji. Des bénéfices nutritionnels? Les vendeurs et les promoteurs de ces emballages y croient mordicus. Outre la fonction de protection, certaines feuilles procurent, selon eux, des bénéfices nutritionnels et transfèrent leur arome ou couleur aux aliments emballés. De même, le fait que certains pigments laissent une coloration par exemple à l’akassa constitue pour eux un facteur attractif. Des travaux menés sur les caractéristiques physico-chimiques, phytochimiques et la toxicité de quatre de ces espèces végétales utilisées comme emballages alimentaires sont plus ou moins rassurantes. « Il est apparu que les teneurs en protéines, en lipides totaux et en cendres totales sont respectivement de 6,0 ; 4,6 ; 8,7 % pour Tectona grandis ; 16,0 ; 4,3 ; 9,1 % pour Musa sapientum; 12,5 ; 4,6 ; 7,0 % pour Thalia geniculata et 13,4; 2,0 ; 7,2 % pour Manihot esculenta. Une diminution significative de ces valeurs a été observée après 3 jours de conservation des produits emballés dans ces espèces de feuilles. Le fer est présent dans toutes les espèces, notamment dans Manihot esculenta (8,4 %), Tectona grandis (4,4 %) avec une légère diminution après emballage des produits. La teneur en vitamine C est présente uniquement dans les feuilles de Manihot esculenta dans l’ordre de 0,4 % Les tanins, les catéchiques, les anthocyanes, les leuco-anthocyanes, les mucilages, les flavonoïdes et les coumarines ont été identifiés dans toutes les espèces de feuilles analysées. Toutes les espèces de feuilles analysées se sont révélées non toxiques », résume un article scientifique publié dans la revue Ajol en 2014. L’inquiétude pourrait résider dans le traitement que subissent ces feuilles avant leur utilisation. Elles sont souvent nettoyées avec de l’eau, certaines sont exposées au feu doux avant d’être lavées. « Les micro-organismes dénombrés dans l’akassa conditionné dans ces quatre emballage-feuilles ont évolué dans le temps. La microflore dominante est constituée principalement des bactéries lactiques et des levures et moisissures. Il est apparu que chacune de ces espèces de feuilles contiendrait une substance antimicrobienne spécifique à chacun des micro-organismes dénombrés. Ces résultats suggèrent une catégorisation desdites espèces de feuilles quant à leur utilisation sélective comme emballage dans l’artisanat agroalimentaire au Bénin et en Afrique. Par ailleurs, le pH et l’acidité titrable de l’akassa ont une valeur conférant au produit une forte acidité qui n’a pas varié de façon significative tout au long de la durée de conservation, quel que soit l’emballage-feuille utilisé », renseignent les travaux menés par Marcellin Gildas Quenum sous l’égide de Paulin Azokpota. Il est temps de passer à une valorisation des emballages végétaux, surtout que les premiers conçus au laboratoire sont très prometteurs.