Fondée en 1865 à Ludwigshafen, BASF s’est imposée comme l’un des piliers de l’industrie chimique allemande. Avec des activités couvrant la production de plastiques, de colorants, de produits pharmaceutiques ou encore d’engrais, l’entreprise a longtemps symbolisé la puissance industrielle allemande à l’échelle mondiale. C’est au sein de cet empire que Marlene Engelhorn, de nationalité autrichienne, a hérité en 2022 d’un patrimoine estimé à 27 millions d’euros à la suite du décès de sa grand-mère, actionnaire importante du groupe. Malgré cette origine allemande de sa fortune, elle choisit de remettre en cause la légitimité même de cet héritage.
L’héritage, une transmission qu’elle conteste
L’argent reçu, Marlene Engelhorn affirme ne pas l’avoir mérité. Issue d’un parcours académique en littérature, elle se dit étrangère à l’idée d’avoir contribué à cette fortune. Elle refuse d’ériger l’héritage comme une récompense ou une responsabilité patrimoniale, considérant ce mécanisme comme fondamentalement inéquitable. À ses yeux, cette concentration de richesses héritées entretient un système dans lequel une minorité, parce qu’elle dispose de moyens financiers considérables, oriente les décisions collectives sans légitimité démocratique.
Mais plutôt que de redistribuer directement l’argent selon ses propres préférences ou de s’en remettre à des fondations familiales, elle opte pour une méthode inédite : une assemblée citoyenne composée de 50 Autrichiens tirés au sort est chargée de définir l’usage des fonds. Ce dispositif, qu’elle qualifie de plus juste et représentatif, vise à éviter toute logique de charité descendante ou de mécénat sous conditions. Elle leur confie la somme de 25 millions d’euros, soit plus de 90 % de l’héritage qu’elle a perçu.
Une militante du changement fiscal en action
Marlene Engelhorn ne limite pas son engagement à ce geste spectaculaire. Elle s’est imposée comme une figure de proue du mouvement Tax Me Now, qu’elle a cofondé pour revendiquer une refonte du système fiscal autrichien. Ce collectif appelle notamment au rétablissement de l’impôt sur les successions, aboli dans le pays en 2008, et défend l’idée que l’imposition des grandes fortunes est un levier essentiel de justice sociale. Par ses prises de parole, ses écrits — notamment son livre *L’Argent. Pouvoir, richesse, injustice* paru en 2024 — et ses actions concrètes, elle s’attaque aux fondements d’un modèle de transmission qu’elle considère dépassé et nuisible à la cohésion démocratique.
Le choix de rendre 25 millions d’euros n’est donc ni impulsif ni isolé. Il découle d’une critique cohérente d’un système où le pouvoir économique se transmet et se reproduit sans lien avec le mérite ni l’utilité collective. En confiant cette somme à un organe citoyen, elle pousse jusqu’au bout la logique de redistribution sans intervention paternaliste.
Une décision qui interroge au-delà des frontières autrichiennes
Le cas de Marlene Engelhorn soulève des interrogations bien au-delà de son pays natal. Il met en lumière les tensions croissantes entre accumulation patrimoniale et aspiration à une société plus équitable. Là où certaines fortunes sont protégées par des dispositifs fiscaux complexes, d’autres voix, comme celle de cette héritière atypique, plaident pour une remise à plat des privilèges hérités. Le contraste est d’autant plus frappant que cette démarche ne repose pas sur un rejet de l’économie ou de l’entreprise, mais sur une volonté explicite de rééquilibrer les rapports sociaux par des mécanismes démocratiques de décision.
Si sa fortune trouve son origine dans un groupe industriel allemand à la trajectoire emblématique, Marlene Engelhorn, autrichienne engagée, en détourne l’usage pour remettre en question les fondements de ce même système. Une initiative qui, même si elle reste rare, pourrait bien inspirer d’autres à reconsidérer la légitimité des fortunes transmises et leur impact sur la vie collective.