L’Afrique de l’Ouest est aujourd’hui le théâtre d’une concurrence stratégique entre deux projets de gazoducs visant à relier les réserves du Nigeria au marché européen. D’un côté, l’Algérie défend le projet Transsaharien, un tracé plus direct passant par le Niger et aboutissant à ses propres infrastructures gazières. De l’autre, le Maroc mise sur le Gazoduc Atlantique Africain, qui longerait la côte ouest du continent sur plus de 6 800 kilomètres, traversant une dizaine de pays avant d’atteindre l’Europe. Ce second projet, au coût nettement supérieur, représente pour Rabat une opportunité de renforcer sa position géopolitique tout en défiant l’hégémonie énergétique algérienne. Le bras de fer entre les deux nations se joue autant sur les plans techniques que diplomatiques, avec des alliances à tisser, des contrats à sécuriser et des financements à mobiliser.
Un calendrier repoussé face à une équation complexe
Initialement attendue pour le second semestre 2025, la décision finale d’investissement pour le gazoduc maroco-nigérian a été reportée à début 2026. Ce glissement reflète les nombreuses incertitudes qui entourent encore le projet. Plusieurs études techniques n’ont pas encore été finalisées, notamment celles concernant les tronçons les plus sensibles du tracé. À cela s’ajoute une difficulté majeure : l’absence d’engagements fermes de la part d’acheteurs européens, condition essentielle pour garantir la rentabilité du projet. Sans ces accords à long terme, aucun investisseur ne s’engagera sur un chantier de cette ampleur. Cette combinaison de facteurs repousse les échéances et alimente les interrogations sur la faisabilité du projet dans les délais annoncés.
Une facture énergétique en hausse
Alors que le projet devait initialement mobiliser 25 milliards de dollars, les derniers chiffrages font état d’un budget dépassant désormais les 30 milliards. Cette inflation, alimentée par la hausse des coûts de construction et les ajustements techniques nécessaires dans les différents pays traversés, met une pression supplémentaire sur les promoteurs. L’extension du tracé sur 13 territoires, chacun avec ses propres exigences réglementaires et réalités politiques, ajoute un niveau de complexité rarement atteint dans les projets énergétiques africains. En comparaison, le projet algérien, plus court et déjà en partie adossé à des infrastructures existantes, apparaît moins risqué financièrement, ce qui pourrait peser dans les arbitrages européens.
Un projet ambitieux à l’épreuve du réel
La vision portée par le Maroc et le Nigeria repose sur une intégration énergétique régionale à grande échelle, qui pourrait dynamiser les économies locales et diversifier les routes d’approvisionnement en gaz vers l’Europe. Mais l’ambition se heurte à une série d’obstacles concrets : manque d’acheteurs engagés, coordination complexe entre États, instabilité dans certaines zones traversées. Chaque étape du projet est soumise à des aléas techniques, diplomatiques et économiques. Le report de la décision d’investissement illustre les tensions entre le potentiel stratégique du projet et les contraintes de sa mise en œuvre. Pour le Maroc, ce retard n’annule pas l’élan diplomatique engagé autour du projet, mais rappelle qu’en matière d’énergie, la volonté politique ne suffit pas à effacer les réalités du terrain.