A moins d’un an des élections présidentielles au Bénin, le peuple béninois retient son souffle. De mémoire de béninois, aucune élection présidentielle n’a jamais été aussi entourée d’incertitude. Le code électoral porté par la loi n°2024-13 du 15 mars 2024 n’a pas fini de susciter des inquiétudes au lieu de rassurer. Un code électoral a pourtant vocation à rassurer et à garantir la transparence, l’équité et l’inclusivité du processus électoral. Quel est alors le but poursuivi par les géniteurs de la réforme du code électoral ?
Il serait intéressant de lire entre les lignes en faisant une analyse des différentes élections présidentielles depuis 1991.
En 1991, les élections présidentielles qui ont fait élire le Président Nicéphore SOGLO ont réuni treize candidats en lice au premier tour dont six indépendants et sept portés par des partis politiques. En 1996, il y a eu sept candidats dont deux indépendants et cinq portés par les partis politiques. Lors des élections de 2001, dix-sept candidats étaient en lice avec cinq indépendants et douze portés par les partis politiques. En 2006, nous avons eu vingt-six candidats au nombre desquels dix étaient des candidats indépendants et seize candidats portés par des partis ou mouvements politiques. Le Président élu cette année-là fut Boni YAYI, candidat indépendant mais porté par des mouvements politiques. En 2011 cette fois-ci, il y a eu quatorze candidats dont huit candidats indépendants. Le Président Boni YAYI porté par les Forces Cauris pour un Bénin Emergent (FCBE) se fera réélire dès le premier tour.
Les élections présidentielles de 2016 qui interviennent à la fin du second mandat du Président Boni YAYI font venir Patrice TALON. Le Président Patrice TALON, candidat indépendant, se fait élire parmi trente-trois candidats. Il y avait cette année-là vingt-huit candidats indépendants et cinq candidats portés par les partis politiques. Il faut saluer la grandeur de l’homme d’Etat Boni YAYI qui, malgré tous les précédents qu’on sait a quand même dressé le tapis rouge à son successeur sans chercher à restreindre les libertés de participation aux élections de 2016.
L’analyse commence par devenir intéressante à partir de 2021. Les élections de 2021 viennent après les élections législatives de triste mémoire de 2019. Ces élections législatives interviennent sur fond de réformes non consensuelles contestées et de violence. Le pays est pratiquement au bord de l’embrasement. La classe politique est profondément divisée. De nombreux compatriotes tomberont, sacrifiés sur l’autel de ces réformes. Le souvenir des élections festives qui ont fait la renommée du Bénin est bien loin. C’est dans cette ambiance explosive et tendue qu’arrivent les élections présidentielles de 2021. Les nouvelles exigences du parrainage et du certificat de conformité voient le jour.
Au final, trois candidats sont éligibles pour compétir : Patrice TALON, candidat à sa propre succession, Alassane SOUMANOU porté par le parti FCBE et Corentin KOHOUE. On pourrait dire : tout ça pour ça !
Le pays a frôlé le pire juste pour parvenir à une élection où les candidatures sérieuses ont été écartées. Ceci est d’autant plus incompréhensible que cinq ans plus tôt, toutes les libertés ont été accordées à Patrice TALON pour qu’il devienne le Président qu’il est.
La présente loi n°2024-13 du 15 mars 2024 modifiant et complétant la loi n°2019-43 du 15 novembre 2019 portant code électoral ne vient pas pour adoucir les conditions de participation aux élections. Elle vient plutôt pour les durcir encore plus. Le nouveau code avec ses conditions drastiques enlève quasiment aux candidats indépendants le droit d’être candidat. Le Président Patrice TALON est pourtant arrivé au pouvoir en tant que candidat indépendant. Pire, l’exigence de parrainage empêche même les partis politiques en dehors des partis UPR, BR et Les Démocrates de présenter des candidats. On pourrait s’interroger si au final le droit du peuple de choisir librement ses élus n’est pas violé.
Quelles sont alors les vertus que portent les réformes du code électoral dans notre pays ? A quels résultats les initiateurs veulent-ils aboutir?
Parmi les arguments avancés, il y a l’assainissement de l’environnement politique, l’émergence de grands partis politiques, la réduction des candidatures fantaisistes, etc. Mais à l’épreuve, nous sommes très loin du compte.
Au regard des contestations, des dégâts collatéraux générés, et des résultats obtenus, il est difficile de dire que ces réformes sont dans le sens de l’inclusivité, de l’équité et de la transparence des élections. Aussi curieux que cela puisse paraître, ces réformes n’ont pas amélioré l’existant. Au contraire, ces réformes donnent plutôt l’impression d’un enfumage grotesque par lequel on cherche à contrôler la concurrence et à fuir la compétition. Ces réformes resteront durablement dans la mémoire collective comme l’une des tares qui invalident les réalisations de la Rupture. Et pour reprendre l’expression du Dr Bertin KOOVI, on pourrait laver le pouvoir de la Rupture à l’eau de javel et à l’eau de Cologne, le système sentira toujours la ruse et la rage.
Elvis ABOU
Sociologue
elvisabou@gmail.com