Bantè, épicentre des violences liées aux élections notamment la présidentielle de 2021, on a constaté que les législatives de janvier dernier se sont relativement bien déroulées dans la paix. Est-ce que vous confirmez ?
C’est vrai, nous pouvons répondre par l’affirmative pour dire que les élections législatives de 2023 se sont déroulées sans anicroche dans la commune de Bantè. C’est la toute première élection d’ailleurs, que nous organisons après les échauffourées de 2019, de 2021. C’est la toute première élection qui a été apaisée et la campagne s’est déroulée dans une ambiance très festive ; les partis en lice ont fait normalement leur campagne, de façon ouverte comme on en avait l’habitude. C’était vraiment à l’actif de tous les acteurs politiques, de tous les leaders d’opinion, de tous ceux qui, de près ou de loin, ont contribué au processus de pacification que nous avons conduit avec l’accompagnement du préfet du département qui se trouve être un des nôtres, un natif de Bantè, qui a pris vraiment le dossier de Bantè tout comme les autres dossiers des autres communes du département, en main. Nous l’avons fortement accompagné et je pense que c’est le cumul de tout ça, avec l’appui des institutions nationales comme le Médiateur de la République ; les institutions internationales comme l’IGD qui a appuyé également partout à travers les processus d’arbre à palabre. On a suffisamment parlé à la population pour que chacun comprenne qu’en réalité ce qui nous unit doit être plus fort que ce qui nous divise. Donc c’est le cumul de tout ça qui nous a amené à avoir ces élections apaisées, bien entendu avec l’entrée en lice des Démocrates qui percevaient la chose comme des élections exclusives. Nous saluons donc cet esprit de convivialité qui a régnée au cours de la campagne et qui s’est soldée par une élection apaisée.
Pour beaucoup, c’est l’entrée en lice des Démocrates, comme vous le dites, qui a fondamentalement apaisé les tensions.
Oui, mais c’est un aspect. Quand on prend les variables ou bien les éléments déterminants des incompréhensions qu’il y avait entre temps, c’est un élément. Mais il n’y a pas que Les Démocrates qui sont allés à cette élection ! Les autres partis également, qui d’une manière ou d’une autre, ont également des incompatibilités, que ça soit avec Les Démocrates ou avec d’autres partis politiques en campagne, qui pouvaient se solder, pour un oui ou un non, par des scènes de violences. Donc c’est la grandeur d’esprit dont tous les acteurs politiques ont fait montre et l’écoute dont ils ont aussi fait montre à travers les sensibilisations que nous avons eu à développer qui est l’élément déterminant de cette paix que nous avons pu observer.
Pensez-vous que cette paix retrouvée est solide, définitive ?
La paix, tout comme la sécurité, n’est jamais acquise à 100%. Il y a toujours des facteurs de risque sur lesquels il faut quotidiennement veiller. Mais nous pensons que la majorité des acteurs politiques notamment les jeunes, les femmes, tous ceux qui pouvaient réagir de manière aussi violente ou brutale par rapport à tel ou tel geste, les gens sont suffisamment informés, tout le monde a compris aujourd’hui que nous ne gagnons rien en s’affichant négativement ou en affichant négativement la commune aux yeux de l’opinion. Je pense que c’est un élément très déterminant. La prise de conscience des uns et des autres est un élément favorisant la préservation de cette paix. Le risque est toujours là, chacun a son tempérament ; il y a même d’autres éléments qui peuvent même déclencher les scènes de violence indépendamment des scènes de violence électorale compte tenu d’une certaine rancune que des gens pourraient garder. Donc il y a lieu de travailler constamment à préserver cette paix. C’est pourquoi nous ne lâchons pas, nous restons toujours sur nos gardes, vigilants par rapport aux petits trucs qui pourraient faire dégénérer, porter atteinte à la cohésion sociale.
En tant que première autorité de la commune de Bantè, quels sont les facteurs sur lesquels vous pensez qu’on doit pouvoir agir pour consolider cette paix ?
Je pourrais énumérer des facteurs exogènes qui ne sont pas forcément liés à la chose électorale ou à la chose politique, sur lesquels il faut agir. Je vais parler par exemple de l’épineuse question de la cohabitation éleveurs-agriculteurs qui touche l’aspect économique de la vie des populations. Par exemple le pauvre paysan qui a son champ, qui va au champ un beau matin et qui trouve que l’éleveur installe son troupeau de bœuf sur son exploitation en train de le brouter ; l’autre parle et puis ce dernier dégaine. C’est des facteurs récurrents. Et si des gens avaient déjà des frustrations sur lesquelles les sensibilisations arrivaient à les contenir, c’est des trucs qui peuvent amener les populations à exprimer leur frustration. En dehors de ça, il y a des facteurs liés à l’usage de la chose publique. La perception que les populations ont par rapport à un certain nombre de lois ; d’autres trouvent qu’il y a des lois injustes. Donc les gens doivent être amenés à être sensibilisés quotidiennement pour cerner le bien fondé des textes de lois qui sont votés par des acteurs politiques. Ceci ne pourra être fait sans un dialogue permanent avec les acteurs, les services déconcentrés avec l’appui des Ongs. Les zones de risque comme les zones frontalières qui sont sans présence de l’Etat, ce sont dans ces zones que les gens trouvent refuge ; donc il y a des infrastructures qu’il faut promouvoir pour limiter le sentiment d’exclusion que certaines régions ont également, pour qu’elles se retrouvent pleinement dans la République, pour qu’elles se disent qu’il y a une répartition équitable de la chose. Voilà ces éléments qui peuvent fondamentalement changer la psychologie des uns et des autres, et qui peuvent les amener à comprendre ce qu’on leur fait comme sensibilisation.
Revenons aux élections proprement dites. Est-ce qu’à Bantè et comme on l’a noté dans d’autres localités, il y a des fils de Bantè qui sont des prisonniers politiques liés à ces violences électorales ?
Pour l’élection présidentielle, je pense qu’il y a un certain nombre de nos concitoyens qui avaient été arrêtés mais avec la décision du chef de l’Etat, cela a permis de libérer un certain nombre qui ont retrouvé leur famille. Mais il y a quelques-uns encore notamment il y a un, mais on ne va pas dire que c’est lié aux élections, ça c’est une question d’opinion qui a été exprimée et il a été appelé à justifier. Vous savez qu’avec le Code du Numérique maintenant il faut assumer un certain nombre d’actes que vous posez ou d’opinions que vous émettez. Donc il y a quelqu’un qui a été interpellé pour répondre de ses opinions.
Mais est-ce que les familles concernées ne vous dérangent pas, ne sollicitent pas que quelque chose soit fait pour la libération de ces personnes ?
Oui, après les violences, quand nous avons été installés, ce sont les premières sollicitations. C’est d’œuvrer pour que ceux qui sont dans la clandestinité puissent circuler. Vous avez été ici, vous avez vu comment la commune était militarisée, il y avait les engins lourds pour sécuriser la commune. Donc c’est suite à ces plaidoyers avec les indicateurs que la Police et l’armée ont eus qu’elles ont pu dire qu’il y a une prise de conscience. Et ces engins lourds, ce personnel militaire a été retiré dans un processus. Après ça, il y a eu des lobbyings, des plaidoyers qui ont été faits pour que ceux qui étaient dans la clandestinité puissent circuler. S’il y a des gens qui estiment qu’ils sont dans la clandestinité, cela veut dire que c’est une clandestinité volontaire parce que les autorités ont donné leur accord en se disant que les élections sont terminées, et ce qui s’était passé c’est pour sécuriser les populations. L’Etat doit assumer son rôle en préservant, en protégeant les populations ; donc les élections étant terminées, l’Etat a dit les gens peuvent circuler ; et je pense que ça fait partie des éléments de pacification que nous avons conduits avec le préfet. En dehors de ça, le plaidoyer a été fait pour la libération de ceux qui se sont retrouvés d’une manière ou d’une autre en prison du fait de ces élections ; et je pense qu’il y a une décision forte qui avait été prise. On a notre collègue, deuxième adjoint au maire qui était arrêté par rapport à ces violences mais quand il a été écouté, avec les plaidoyers, la justice, analysant également qu’il n’avait pas grand-chose à lui reprocher, il est revenu et on travaille ensemble pour le développement de la commune. C’est dire que pour nous, tout cela est désormais du passé et nous sommes dans la logique de nous mettre véritablement ensemble, en phase avec les orientations du pays pour conduire le pays à son développement pour l’épanouissement de nos populations.
Propos recueillis par Jacques BOCO